Il y a un an, à pareil moment, la grande fête de la jeunesse africaine, la phase finale de la CAN 2023, entamait sa deuxième semaine de compétition. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les équipes engagées ont connu à cette étape, des fortunes diverses. Si des équipes comme le Sénégal ou le Cap Vert ont fait sensation à ce stade de la compétition, d’autres comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun étaient en proie à un doute quant à la suite de la compétition.
Les Eléphants de Côte d’Ivoire, qui avaient bien débuté la compétition en battant la modeste équipe de la Guinée Bissau, s’étaient inclinés face aux Super Eagles du Nigeria pour leur deuxième sortie. Avec cette déconvenue, les Eléphants invitaient comme à leur habitude, les Ivoiriens à se munir de calculettes et surtout, à revisiter leurs cours de probabilités pour évaluer les chances d’être au deuxième tour. Voici ce à quoi étaient soumis les ivoiriens :
Si le Nigéria perd face à la Guinée Bissau…
Si la Côte d’Ivoire bat la Guinée Equatoriale…
Si le Nigéria fait match nul…
Etc. Autant de calculs qui traduisent l’incertitude, le doute et la confusion dans lesquels baignait le peuple ivoirien ; car avec «si », on peut refaire tout un monde. Mais les ivoiriens sont habitués à ce genre de situation.
Au sortir du stade Olympique d’Ebimpé après la défaite contre le Nigeria, les supporters ivoiriens ont entonné un chant qui a laisse perplexe et interrogateur : « …On n’a pas gagné, on n’a pas gagné, mais on s’en fout… ».
D’aucuns avaient mis cela au compte de l’humour caustique des Ivoiriens, reconnu partout. Ils ont l’art de tourner en dérision, toutes les situations inextricables, les problèmes les plus sérieux auxquels ils sont confrontés, quels qu’ils soient.
Ils en font des concepts, des challenges ou même des pas de danse. Tout y passe : grippe aviaire, Covid 19, Sida, situations politiques, etc. Ainsi, le panafricanisme décliné par le président Laurent Gbagbo lors du congrès constitutif du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (Ppa-ci), est devenu le «kpatafricanisme », en référence à l’appréciation du président Gbagbo, de la chanson « ma copine est kpata » de l’artiste Skelly dont il a parlé au cours des assises.
Ou encore, les directeurs généraux des entreprises publiques et parapubliques, convaincus de malversations et de détournements de deniers publics, et limogés à la suite d’un audit, ont selon les Ivoiriens, élu domicile à Limoges, et partant, sont dorénavant des habitants de Limoges !
Fatalité ou déterminisme?
On peut comprendre que tourner en dérision les situations difficiles est un exutoire qui permet d’évacuer la douleur, la souffrance, les frustrations et de conserver l’équilibre, on ne peut non plus s’empêcher de se demander si, à force d’y avoir recours, cela ne déteint véritablement pas sur les Ivoiriens, au point de leur induire une conduite, d’ôter toute envie de se battre, toute envie d’aller toujours plus loin, et de pouvoir retourner ces difficultés. Tout porte à croire que désormais l’Ivoirien se complait à se contenter et à se satisfaire de peu, et même à considérer ce qui lui arrive comme une fatalité ou mû par un certain déterminisme.
A voir les Eléphants jouer à cette étape de la compétition, on n’a à aucun moment senti la rage de vaincre, la détermination d’aller jusqu’au bout du dernier souffle, et surtout l’envie de gagner. Il a manqué le « fighting spirit » qu’on a admiré chez les Sénégalais. C’est en ce moment qu’on se demandait si objectivement , joueurs ivoiriens et supporters n’étaient pas dans le même dispositif d’esprit. Gagner est certes l’objectif assigné, mais perdre ne fera pas tomber le ciel sur la tête.
On pourra tout de même se satisfaire, si la Côte d’Ivoire ne gagnait pas la coupe, d’avoir participé, d’avoir un grand nombre de présences en phase finale de la Can, mais surtout d’avoir organisé la plus belle des Can. Cela suffira à satisfaire notre ego, et la terre continuera de tourner sur elle-même et autour du soleil !
Que cette mentalité nouvelle, cet engagement nouveau puissent déteindre durablement sur les supporters et par-delà sur tous les ivoiriens
Pour nombre de personnes, la chanson entonnée par les supporters comme susmentionnée, est le symbole achevé de l’insouciance, à la limite de l’inconscience qui caractérise l’ivoirien nouveau. Ainsi, que celui-ci vende à cette période 3 kg de cacao pour pouvoir s’offrir 1 kg de viande, que 2 kg d’hévéa ou d’anacarde ne lui permettent pas d’acheter 1 litre d’huile ou 1 kg de sucre, peu lui importe. Il « s’en fout », il s’en accommode et s’en remet à Dieu.
Il pourra toutefois se satisfaire de la publication à profusion de belles images de ponts, de routes bitumées, et d’échangeurs, qu’il pourra brandir avec fierté, surtout devant…les camerounais, même s’il n’arrive pas à trouver des réponses à ses préoccupations existentielles. Face à cette situation de manque d’ambition, d’accommodation de la médiocrité, de la propension à se contenter de peu, les ivoiriens étaient désespérés et se demandaient ce qui pourrait fouetter l’orgueil des Eléphants, leur donner l’envie d’aller toujours loin, de vouloir toujours mieux et de ne plus se contenter de peu.
Cela advint avec une victoire du Maroc qui leur ouvrit grandement les portes pour la poursuite de leur aventure. Métamorphosés par une qualification des plus inattendues, les Eléphants se sont donné corps et âme dans la suite de la compétition, qu’ils remportèrent à la grande joie de toute une nation. Pour y arriver, les Eléphants avaient emprunté une trajectoire nouvelle, un engagement sans faille et surtout une mentalité de gagneur.
Souhaitons que cette mentalité nouvelle, cet engagement nouveau puissent déteindre durablement sur les supporters et par-delà sur tous les ivoiriens et ce, dans tous les domaines. Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.
Par NAZAIRE KADIA