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Et si l'Afrique osait la transformation de ses matières premières ?

Monde

Économie : Et si l’Afrique osait la transformation de ses matières premières ? (Par NAZAIRE KADIA) 

Au sortir de la colonisation et au début des indépendances africaines, l’ingénieur agronome français, René Dumont, sortit un livre, « l’Afrique noire est mal partie », qui fit scandale, et a suscité tollé et indignation des élites africaines de l’époque, encore dans les effluves des indépendances recouvrées. René Dumont y décrit les handicaps, les retombées de la colonisation et les problèmes de corruption qui pointaient déjà du nez. Il invitait déjà les dirigeants africains à donner une réorientation à l’agriculture héritée de la colonisation, en mettant l’accent sur les cultures vivrières qui permettraient d’éradiquer la faim.

Ce n’est un secret pour personne, que les cultures de rente introduites par les colons, étaient uniquement destinées à approvisionner les industries européennes en matières premières. L’Afrique s’est mise donc à produire ce qu’elle ne consomme pas et à consommer ce qu’elle ne produit pas. Plus de 60 ans après ce cri de René Dumont, qu’est ce qui a véritablement changé ? Pas grand-chose en réalité. Il y a certes eu une diversification des cultures de rente, mais l’esprit reste le même : produire pour alimenter les industries en Europe et ailleurs.

Ainsi la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun…sont devenus de gros producteurs de cacao, le Mali un gros producteur de coton, le Sénégal produit de l’arachide, le Nigéria un gros producteur de l’huile de palme. Ces performances obtenues résultent d’une politique volontariste qui a consisté à encadrer et à soutenir les producteurs en ayant des objectifs de production.

Mais cette politique d’appui et de soutien a manqué et continue de manquer aux producteurs des vivriers. Ceux-ci continuent de nager dans l’informel. Ce qui ne leur permet pas d’avoir une production, à même de les faire vivre décemment du fruit de leur travail, et approvisionner le marché national. Qui plus est, les États sont obligés d’utiliser les fonds engrangés par la vente du cacao, du café, du coton, pour importer du riz !

Le cas Thierry Than

Et c’est cet état de fait qui est vraiment désespérant. Avec des terres arables à profusion, un sol et un climat favorables, comment l’ Afrique peut se trouver à importer des vivres, essentiellement du riz, qu’elle peut produire en grande quantité ? Cette contradiction est vraiment incompréhensible. Mais bon… Très vite le choix économique de l’Afrique, fondé sur la vente des matières premières va montrer ses limites. 

Les recettes budgétaires des pays, essentiellement basées sur ces ventes seront ballotées au gré des fluctuations du marché, dont aucun de ces pays n’a la maîtrise. Après l’atteinte du premier objectif qui était la production, et eu égard aux vicissitudes du marché mondial, on s’attendait à ce que les pays africains s’engagent résolument dans un deuxième temps, dans la transformation chez eux de leurs matières premières et bénéficier des plus-values liées à cette activité. Malheureusement, il est difficilement compréhensible de constater l’absence d’une volonté farouche dans cette option.

Est-ce la peur ? Ou attend-on l’approbation et les conseils des institutions de Bretton Wood avant de s’y engager? On se rappelle, il y a quelques années, qu’un homme d’affaires, d’origine chinoise, français de nationalité et Ivoirien d’adoption, M. Thierry Than, s’est installé en Côte d’Ivoire, avec sa société «Ivoire-Café ». L’homme avait une vision nouvelle et un ambitieux programme de développement par l’industrialisation. Il s’agissait pour lui, d’arriver à la transformation des produits ivoiriens, y compris des produits qu’on qualifierait de secondaires. Ses conférences d’explication, ses démonstrations les méthodes qu’il entend utiliser, ont fini par convaincre de nombreux ivoiriens qui y voyaient une bouée de sauvetage.

L’Afrique et ses choix économiques contradictoires

L’engouement qui a entouré ce programme était à la dimension des attentes des Ivoiriens, heureux d’avoir autre chose que le binôme café-cacao. L’homme et sa société furent combattus de tous côtés, y compris par la Banque Africaine de Développement (BAD). La Bad finit par annuler tous les contrats de « Ivoire-Café », juste après un bref séjour du président de Nestlé à Abidjan, et après un interminable procès avec M. Thierry Than. Ce petit rappel, pour mettre en évidence, les enjeux qui entourent la politique de transformation en Afrique des matières premières. Les multinationales et les industries européennes ont beaucoup à perdre si cette transformation est effective.

Dès lors, il faut une volonté politique forte, et un courage à toute épreuve pour s’engager résolument dans cette voie pleine d’embûches. Existe-t-elle cette volonté? Apparemment non. La Côte d’Ivoire continuera de vendre son latex brut, sans songer un seul instant à fabriquer des pneumatiques, des gants et des préservatifs… Le Niger continuera de brader son uranium à la France, ce qui lui permettra de faire la fine bouche, et se bomber la poitrine en affirmant pouvoir se passer de l’énergie russe, pendant que de nombreuses localités nigériennes sont sans électricité. 

De même, la Guinée et la RD Congo continueront d’être des « scandales géologiques », pillées sans retenue par les entreprises des grandes puissances, et être classées parmi les pays les plus pauvres de la planète. Ainsi va l’Afrique dans ses choix économiques contradictoires, la peur de prendre son destin en main et son refus de s’assumer. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai !

NAZAIRE KADIA 

Analyste politique

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