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LA JUSTICE COMME MOYEN DE PRESSION : L’AFRIQUE A MAL A SA DEMOCRATIE

Eco et politique

Côte d’Ivoire: Pourquoi il faut mettre un terme à l’instrumentalisation des institutions de la République (Par NAZAIRE KADIA) 

L’Afrique a un incroyable talent. Elle a non seulement réussi la prouesse de tropicaliser la démocratie en lui faisant prendre la couleur locale, mais y ajoute régulièrement des ingrédients qui lui donnent une saveur spéciale, insipide mais surtout indécente. Ainsi dans les démocraties africaines, on trouvera une pléthore d’institutions inopérantes, dont certaines véritablement inutiles, sont destinées à donner le change à l’extérieur et trouver des points de chute à des personnes sorties du gouvernement. 

Tous les actes posés, le sont dans un calcul politicien pour tirer la couverture sur le parti au pouvoir et lui donner une longueur d’avance sur ses adversaires. Même le trophée de la Coupe d’Afrique des Nations, remporté par l’équipe nationale de Côte d’Ivoire et pour lequel, les Ivoiriens dans leur entièreté et dans leur diversité, ont vécu stress, angoisse, et souvent désolation, sert aujourd’hui d’instrument de ralliement et de propagande à la gloire d’un parti et …d’un homme !

Les découpages électoraux effectués, le sont à l’avantage de ce parti, les recensements faits, sont biaisés avec l’introduction de nombreuses personnes sur la liste électorale, alors qu’elles n’y ont pas droit. Et le clou, c’est l’appui sur la justice du pays, pour éliminer les adversaires jugés « dangereux » de la course sur le chemin tortueux du palais présidentiel. La justice en tant qu’institution, est utilisée pour donner un vernis de légalité aux décisions iniques qui sont prises. 

Ce modus operandi, fondé sur des raisons fallacieuses, se répand de plus en plus sur notre continent et donne à désespérer de celui-ci. Ainsi au Sénégal, l’opposant d’hier, Ousmane Sonko, l’un des principaux adversaires du président Macky Sall, et véritable empêcheur de tourner en rond, a vécu des tribulations avec la justice sénégalaise, à tel point que pour nombre d’observateurs, l’objectif in fine, qui était de l’empêcher d’être candidat pour l’élection présidentielle, fut atteint.

Le cas du Sénégal

L’homme n’en finissait pas avec les procès : procès pour diffamation, injures et faux intenté par l’ex-ministre du Tourisme, Mame M’baye Niang, procès pour viol , et sans oublier les emprisonnements de nombre de ses partisans. Cette utilisation de la justice comme bras séculier pour vouloir éliminer un adversaire était incompréhensible venant du président Macky Sall. Lui-même, alors adversaire de l’ancien président Abdoulaye Wade, avait été victime de cette machination, accusé qu’il était de blanchiment d’argent dans l’optique de l’invalidation de sa candidature à l’élection présidentielle.

Le soutien du peuple sénégalais n’a pas permis à la forfaiture de M. Abdoulaye Wade de prospérer. Mais parvenu au pouvoir, Malick Sall s’est inspiré et a utilisé bien cette technique pour éliminer ses adversaires. On a en mémoire, la mise hors compétition du maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné opportunément à une peine de prison. On n’oublie non plus le cas de M. Karim Wade, qui avait été contraint à l’exil, suite à des harcèlements de la justice. 

En Côte d’Ivoire, la situation n’est guère différente. L’année dernière à pareil moment, le journal « Le Patriote », proche du Rhdp informait les Ivoiriens que le président Laurent Gbagbo n’est ni électeur, ni éligible pour les joutes électorales à venir. Son nom ne figure  pas sur la liste électorale de la Cei. Il avait été retiré de la liste bien que l’homme se soit fait enrôler.  Mais a-t-on objectivement des raisons de s’étonner de cette situation ? Assurément non.

L’invalidation d’une éventuelle candidature du président Laurent Gbagbo

Alors qu’il était en procès à la Haye, et que des bruits couraient de façon persistante, qu’il y avait des possibilités de libération pour lui, la justice ivoirienne, dont les contorsions n’étonnent plus, l’a opportunément jugé et condamné à vingt ans de prison pour « le braquage » de la Beceao.

Bien que la Beceao, prétendument « victime », n’a ni porté plainte, ni affirmé avoir subi des préjudices, la justice ivoirienne instrumentalisée, a ainsi donné les moyens juridiques au pouvoir en place d’éliminer un potentiel adversaire pour les joutes électorales. C’est dans cette optique que furent également jugés et condamnés Blé Goudé et Soro Guillaume. 

Au demeurant, s’il y avait eu « braquage » de la Beceao, il est de notoriété publique que les fonds de ce braquage, ont servi à payer le salaire des fonctionnaires, dont les juges de la parodie de procès et le procureur de la République. Les anciens présidents d’institutions, les anciens ministres et les anciens premiers ministres ont également perçu leurs rentes issues de ce braquage. Pourquoi ce beau monde n’a-t-il pas été poursuivi pour recel, si tant est qu’on veut rendre justice à la Beceao ?

Comme on le voit, ici comme ailleurs, l’utilisation de la justice n’était pas pour rendre justice, mais bien de donner les moyens juridiques au parti au pouvoir pour invalider une éventuelle candidature du président Laurent Gbagbo. Revenu en Côte d’Ivoire après être blanchi par la Cpi, et alors qu’il y flottait un air et une atmosphère de réconciliation, vocable très usité à cette époque, le président Laurent Gbagbo a plusieurs fois rencontré le chef de l’Etat, à l’effet que la page sombre du pays soit définitivement tournée. Cela passe par l’élargissement de tous les prisonniers politiques et militaires, à travers une loi d’amnistie générale.

Les Sénégalais ont montré le chemin à suivre pour rompre avec cette forfaiture

Mais dans ses calculs politiciens, sans avoir abandonné sa volonté d’écarter définitivement Laurent Gbagbo de l’élection présidentielle, le chef de l’Etat a plutôt opté pour une grâce, en ce qui concerne Gbagbo, sachant pertinemment qu’une amnistie, aurait fait ipso facto de celui-ci, un adversaire redoutable pour la présidentielle à venir, alors qu’une grâce, rendrait son opposant inéligible.

Aujourd’hui, ceux qui se plaignaient en 1995 et 2000 que leur mentor avait été injustement écarté de l’élection présidentielle, sont dans une jubilation éjaculatoire et jouissive parce que le président Gbagbo n’est « ni électeur, ni éligible ». L’extase qui s’est emparée d’eux, est à la dimension de la peur qu’ils ont de Gbagbo.

Il est vraiment temps que s’estompent l’utilisation et l’instrumentalisation des institutions de la République pour préserver un « tabouret ». Car à force de tirer sur la corde, elle finira par…se casser. Mais les Sénégalais ont montré le chemin à suivre pour rompre avec cette forfaiture. Ainsi va l’Afrique. Mais s’il y a eu un soir en Eburnie, il y aura assurément un matin et l’ivraie sera séparée du vrai.

NAZAIRE KADIA

Analyste politique

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