Invitée de la tribune d’échanges du Centre d’Information et de Communication Gouvernementale (CICG), dénommée « Tout Savoir Sur », Valerie Agoua Djeby N’guessan, la directrice des Concours du ministère d’Etat, ministère de la Fonction Publique, a passé en revue les différents concours ouverts au titre de l’année 2024, les innovations apportées ces dernières années pour faciliter l’organisation de ces concours et les rendre crédibles, ainsi que le nombre de candidats à ces différents concours.
Ce qui frappe d’emblée l’observateur, c’est le nombre élevé de candidats qui frappent aux portes de la Fonction publique. Ainsi, pour le concours d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration (Ena), pour 500 places, on enregistre la candidature de 40 000 jeunes ivoiriens. Cet état de fait, conduit à se poser de nombreuses questions : Pourquoi les jeunes ivoiriens se ruent-ils tous vers la Fonction publique ? Pourquoi dans un pays dont le chef de l’Etat est un chantre du libéralisme total, les jeunes se désintéressent-ils de l’entrepreneuriat ? Qu’est-ce qui est mis en place pour accompagner ceux qui veulent s’y essayer ?
Quelles sont les facilités qui leur sont faites à cet effet ? Les différents gouvernements qui se sont succédé dans notre pays, ont toujours mis un point d’honneur à vouloir faire du jeune ivoirien un véritable entrepreneur (du moins dans les discours), à l’effet d’investir certains secteurs d’activités où les Ivoiriens sont absents.
On peut à juste titre saluer cette vision et cette déclaration de principe, d’autant plus qu’il est de notoriété publique que ni la fonction publique, ni le secteur privé ne peuvent résorber le flot de diplômés qui sort chaque année, des universités et des grandes écoles publiques et privées. Mais dans la pratique, des actes posés et des décisions qui sont prises par l’Etat, semblent contrarier les jeunes dans leur élan et dans leurs motivations de s’installer à leurs propres comptes.
Pourquoi le gouvernement s’échine-t-il, par ses décisions, à chasser les petits entrepreneurs des secteurs qu’ils ont investis?
Ainsi, des jeunes ivoiriens, avec des moyens de bord se sont lancés dans certaines activités, mais se sont retrouvés du jour au lendemain freinés dans leur élan par des mesures incompréhensibles du gouvernement. Les exemples sont légion. On se rappelle qu’il y a quelques années, des jeunes ivoiriens ont investi le secteur de l’importation et de la vente de véhicules d’occasion. Le secteur semblait florissant et porteur. De nombreux emplois furent ainsi créés.
Mais contre toute attente, sous le prétexte de lutter contre la pollution, une loi fut votée interdisant l’importation de véhicules de plus de cinq ans. Cette mesure inexplicable a entraîné la fermeture de nombreuses entreprises, et partant a mis de nombreux jeunes au chômage. Les grands concessionnaires se sont bien frotté les mains, n’ayant plus de concurrence en face, et se sont eux-mêmes mis à importer et à vendre des véhicules d’occasion.
Il y a eu la période faste des entreprises de livraison de marchandises à moto. Des jeunes ivoiriens s’y sont lancés en y apportant des innovations. Tout semblait marcher à merveille. Mais comme dans la situation ci-dessus décrite, sous le prétexte de réglementer le secteur, l’Etat a instauré des taxes exorbitantes que de nombreuses jeunes entreprises ne pouvaient pas supporter. Seules les grandes boîtes comme la Poste, Glovo et aujourd’hui Yango ont tiré les marrons du feu.
Ici aussi, à leur corps défendant, de nombreux jeunes entrepreneurs se sont retrouvés sans travail, grossissant la grande masse des sans-emplois et des chômeurs. C’est vraiment le lieu de s’interroger sur la pertinence et l’opportunité de ces mesures du gouvernement, qui entravent les jeunes dans leur élan d’entreprendre. Pourquoi le gouvernement s’échine-t-il, par ses décisions, à chasser les petits entrepreneurs des secteurs qu’ils ont investis ou souvent innovés, au profit de grosses structures ou mêmes de multinationales ?
Assurer la stabilité de l’emploi, en attendant des jours meilleurs
On ne peut pas d’une part demander aux jeunes de créer des entreprises et partant des emplois, et d’autre part mettre en place des règlementations qui les éjectent du système. Mais malgré ces écueils, quand des jeunes créent des entreprises, obtenir un marché, surtout un marché public, relève d’un véritable parcours de combattant, si ce n’est un chemin de croix difficilement supportable. Ils font face à des appels d’offres que certains disent biaisés, ou des marchés passés de gré à gré qui leur échappent.
Les mauvaises langues affirment même que des responsables de structures comme des directeurs centraux ou même des ministres créent des entreprises, en utilisant des paravents pour s’octroyer des marchés émanant de leurs propres structures. On est donc face à une concurrence déloyale, un conflit d’intérêts ou un délit d’initié. Vrai ou faux, difficile d’y répondre. Ce qui est sûr, c’est que le problème d’emploi des jeunes se pose avec acuité. Les entreprises privées qui ploient sous le poids des impôts et des taxes, offrent difficilement des opportunités aux jeunes.
Et quand les jeunes tentent de se prendre en charge en lançant dans l’entrepreneuriat, leur expérience ne dépasse guère le stade de projet tant les difficultés qu’ils rencontrent sont énormes. De ce fait, il ne leur reste plus que l’entrée à la fonction publique, pour grossir la masse des «gagne-petit », mais qui assure la stabilité de l’emploi, en attendant des jours meilleurs. Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.
NAZAIRE KADIA
Analyste politique