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SYLVAIN TAKOUÉ, Écrivain ivoirien

Culture et société

LA CHRONIQUE LITTÉRAIRE DE SYLVAIN TAKOUÉ, Écrivain ivoirien: LE PRINCE ET LA CITÉ (Première partie) 

Pour ses suiveurs et ses applaudisseurs du moment, c’est un messie, et c’est un infaillible. Pour les siens, il est éternel. Pour le peuple, il est celui qui a la couronne sur la tête, le sceptre en main, et qui est assis sur le trône. Pour tous, il est le pouvoir incarné. Oui. C’est le prince.

Lui-même n’est plus un homme, mais un démiurge. Tel se voit-il. Car, c’est ce qu’on lui fait voir : assis sur le trône, sceptre en main, couronne sur la tête, on le dit pouvoir incarné, on le dit éternel, on le dit infaillible, on le dit messie, on l’applaudit. À sa cour, nul ne le contrarie. Dans la Cité, personne ne le contredit : il est le prince que l’on doit ainsi aimer et adorer, drapé dans le pourpre de velours de sa cape princière. 

La nature humplusieurs t bloc, comme le soutient Thomas Hobbes, aime les excès, et chez l’homme de pouvoir, cultive la propension à en posséder davantage pour dominer. Cela donnera à la tête de la Cité, non plus seulement un homme de pouvoir, mais un animal politique dans la nature ainsi transformée du prince, dont l’instinct ne sera plus maintenant de dominer uniquement, mais aussi et surtout d’exterminer, c’est-à-dire d’oppresser, réprimer, persécuter avec cruauté. 

Ce pouvoir d’être de la sorte lui aura été donné par la société elle-même, qui, dans sa composante (les suiveurs du prince, ses applaudisseurs, les siens, le peuple), a fait de ce prince un messie, un infaillible, un éternel ayant la couronne, le sceptre, le trône, ces attribués koi du pouvoir incarné. 

Et le même peuple, quand dans le prince, l’animal politique (Renard ou Lion, selon Machiavel) remplace effectivement au sommet de la Cité l’homme de pouvoir (qui est en principe, comme le soutient Confucius, un homme de bien et de sagesse), se plaint de cette nature devenue excessive et cruelle du même prince, messie applaudi, infaillible, éternel pouvoir incarné. De plus, de démiurge, comme il se voyait lui-même, le prince se rêve alors ange alors que le peuple le regarde comme un démon, un être méchant, malfaisant. 

Or, l’animal ne sachant faire en lui la différence entre le bien et le mal, le prince n’aura la main qu’à l’oppression pure et dure pour affirmer et maintenir continuellement sa domination implacable de prince applaudi en messie, en infaillible, en éternel détenteur de couronne, de sceptre, de trône, et de pouvoir incarné, alors qu’il se trompe en étant ainsi, parce qu’on l’a lui-même trompé sur ce qu’il ne sait plus qu’il était avant tout : un homme de la société, que la société a voulu prince.

Le peuple dans la Cité voudrait-il maintenant que le prince soit comme un messie applaudi, infaillible, et comme un éternel pouvoir incarné ? 

Il aura appris à ses dépens qu’on ne badine pas avec le pouvoir politique concentré entre les mains d’un homme que la société fait prince, non pas pour l’écraser du poids de son omnipotence, ni pour le forcer à voir en cet homme un rêveur de suprématie humaine, mais pour être simplement un homme de bien et de sagesse, qui, à la tête de la Cité, en donne l’exemple en premier.

Ainsi, se rendra-t-on compte que le pouvoir n’est pas fait pour le prince seulement, qui en abusera toujours. Il est aussi partagé par le peuple qui en est l’équilibre. 

La part de pouvoir du peuple, c’est de dire Oui, au prince, quand celui-ci gouverne en homme de bien et de sagesse, ou de lui dire Non, quand, au contraire, le prince n’est plus cet homme politique là, pénétré d’altruisme, faiseur de bonheur, mais un ogre doublé d’un tyran. Avoir tyran pour prince, est-il la chose la plus aimée, que voudrait le peuple à la tête de la Cité ? 

Car, voici le fait :

Un tyran n’est pas fait pour plaire. Il force à penser qu’il plaît. Il n’a qu’une obsession : se revêtir de la gloire du commandement (une belle expression par laquelle Simon Bolivar condamne cet état de chose chez l’aspirant prince), et régner en maitre absolu, en rouleau compresseur. Il n’entend pas voir cela flétrir aux yeux de tous, ni mourir en lui. Alors, il en impose. Alors, il se surfait. Alors, il se voue à l’ostentatoire. Il veut un règne terrestre épique. 

Titan de la pensée politique unique, la sienne et nulle autre pensée, il est narcissique, vit du rêve homérique, s’éblouit à se voir comme un être supérieur et inouï, énorme d’esprit, incommensurable en volonté, imparable en acte, une entité à la mystique incomparable, qui tient, fait et brise les destins humains, selon son bon vouloir. 

Le tyran écrase sous son pied chaussé de souliers sertis d’or, même celui qui, en reptation ou en genufluxion, se déshumanise et s’y rabaisse pour l’en honorer. Le tyran n’a pas de craintes mais est craint. Il n’a pas de peurs comme l’on en éprouve de lui. Ce n’est pas lui qu’on fait, mais lui qui fait. Quand un prince devient un tyran, peuple, ce n’est pas lui qui s’est fait ainsi, mais toi qui l’a voulu en y consentant.

S’il ne convient pas à ta volonté, tel qu’il est (en tant que tyran et ogre), alors reprends-lui ce qu’il a de plus que toi, c’est-à-dire sa volonté faite suprême, qui était la tienne, et qu’il t’a ravie par ta propre faute. Reprends-lui ce pouvoir qui t’appartient toujours et qu’il a confisqué en le gardant par devers lui : l’acceptation de sa personne omnipotente, ou le refus.

*Texte protégé. 

Sylvain Takoué,

Écrivain ivoirien 

sylvaintakoue@yahoo.fr

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