Culture et société
Côte d’Ivoire : Il y a un an, Mgr Marcellin Yao Kouadio crachait ses vérités au gouvernement Ouattara (Par Nazaire Kadia)
Il y a un an, le dimanche 4 juin 2023, les lampions s’éteignaient sur l’assemblée plénière des évêques ivoiriens, avec une déclaration de la hiérarchie catholique de Côte d’Ivoire et surtout l’élection de Mgr Marcellin Yao Kouadio, Evêque de Daloa, à la tête de la conférence épiscopale de notre pays.
Dans son homélie de la messe de clôture, l’évêque de Daloa a fait une véritable radioscopie de la situation du pays et partant, une interpellation en règle de ceux qui tiennent en mains la destinée de la Côte d’Ivoire.
Avec le franc-parler qu’on lui connait, il a fustigé entre autres, « …la corruption généralisée, le tribalisme, la justice sélective…». Il ne s’est pas arrêté en si bon chemin dans la dénonciation des tares de notre société. Il a mis en exergue « …le développement effectué en morceau choisi, en reconnaissance aux militants dociles, ou en représailles aux localités insoumises… »
Il a aussi fait un clin d’œil à la politique où il dénonce « …une démocratie armée…le jeu trouble de la classe politique, en grande amitié hier, divisée aujourd’hui…l’appel à la paix, et à la réconciliation, n’a jamais été sincère, parce que la plupart du temps, ceux qui nous parlent de paix se promènent en gilets pare-balles…».
Mais auparavant, s’exprimant sur un autre sujet, le prélat qui n’a pas sa langue dans la poche, a assené : « …l’immoralité est exportée à travers l’homosexualité…on parle de LGBT comme s’il s’agissait d’une société immobilière, on parle de zoophilie, de légalisation de l’avortement… ». Cerise sur le gâteau, il a ajouté : « …l’occident décadent veut continuer à dominer et moraliser le monde, particulièrement l’Afrique… ».
L’homélie de l’évêque de Daloa a provoqué un véritable séisme dans le microcosme politique ivoirien, sur les réseaux sociaux, et les journaux n’étaient pas en reste. Diversement apprécié, ce message n’a laissé aucun ivoirien indifférent. Si l’opposition applaudit des deux mains le prélat, pour avoir dit tout haut ce que de nombreux ivoiriens pensent et disent tout bas, de peur de se retrouver dans des situations inextricables, le parti au pouvoir et le gouvernement le fustigent, et les militants du RHDP accusent l’Eglise Catholique de faire de la politique au lieu de s’occuper de religion.
Il n’y a qu’à voir la « Une» des journaux proches du pouvoir à cette période pour s’en convaincre.
Morceaux choisis :
– Le Matin : « Non, un évêque ne parle pas comme un voyou »
– L’Avenir : « Mgr Marcellin Yao, les graves dérives d’un évêque-militant
– L’Essor : « Un opposant déguisé en soutane.
C’est une véritable volée de bois-verts que reçoit l’évêque de Daloa et par-delà, l’Eglise Catholique, là où on était en droit d’attendre, une contradiction, voire une déconstruction preuves à l’appui, des affirmations de Mgr Marcellin Yao Kouadio.
Un clergé pas aphone
La réaction du gouvernement est venue de son porte-parole, le ministre Amadou Coulibaly, qui s’est juste contenté de baigner dans la sempiternelle autosatisfaction et autocélébration. Ces différentes réactions montrent à l’évidence que le message est passé et bien passé. C’est aussi le lieu de signaler que ce n’est pas la première fois que l’Eglise Catholique intervient d’une façon ou d’une autre, dans le débat politique du pays.
Toutefois qu’elle estime qu’une situation peut mener à la déchirure du tissu social ou conduire le pays droit au mur, elle n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme. Elle a toujours été dans une constance à des variations près, dans ses prises de position. A titre de rappel pour les ivoiriens nouveaux, au début des indépendances et précisément en 1963, alors que battait le plein des faux complots qui ont permis d’embastiller ceux qu’on pensait être des opposants, et que la peur régnait sur le pays, Mgr Bernard Yago n’a pas hésité à s’illustrer.
Il a prié sur le corps de M. Ernest Boka, ministre puis président de la Cour Suprême qui se serait suicidé dans sa cellule. Malgré l’interdiction, Mgr Yago n’a pas hésité à dire la prière sur le corps du défunt, envoyant un message subliminal pas difficile à décrypter : il ne croyait pas à la thèse du suicide et c’était sa façon de protester. Cela lui a valu d’être traité de « fétichiste en tiare » par Houphouët-Boigny.
Sous la gouvernance du président Henri Konan Bédié, au plus fort de l’antagonisme entre Bédié et Ouattara, toute la hiérarchie du RDR fut embastillée et un mandat d’arrêt international fut lancé à l’encontre de Ouattara. Le clergé catholique ivoirien ne fut pas aphone. Il a, dans un message, demandé la libération des prisonniers politiques, et partant, de toute la hiérarchie du RDR emprisonnée. Il a prôné un climat d’apaisement pour préparer les élections de 2000, en exhortant le pouvoir d’alors d’écouter son opposition et de discuter en toute sincérité avec celle-ci.
En 2010, au sortir de l’élection présidentielle contestée, le Conseil Constitutionnel, seul organe habilité à donner les résultats définitifs des votes chez nous et dont la décision ne peut faire l’objet de recours, a proclamé M. Gbagbo vainqueur de ladite élection. Si nombre de membres du clergé catholique avait pris acte de cette décision, des voix discordantes se firent entendre. Qui ne se souvient pas des homélies de l’Abbé Wadjas ?
Qui ne se souvient pas de ses sorties dans les journaux ?
Mgr Lézoutier, Evêque de Yopougon, n’était pas en reste et était très prolixe. Il a même qualifié la victoire de Gbagbo de « triste », lui demandant de quitter le pouvoir. Il a en outre ajouté que la défaite de Gbagbo en 1990 devant le président Houphouët-Boigny, était plus honorable que cette « obscure victoire » de 2010. Tous ces rappels pour montrer que d’une façon ou d’une autre, sous tous les régimes, l’Eglise Catholique a toujours eu un message pour les hommes politiques, dès lors qu’elle sent un danger poindre à l’horizon.
Et l’appréciation qu’on en fait dépend de l’angle dans lequel on se situe. D’où vient que le régime Rhdp voudrait être l’exception? Assurément, l’évêque de Daloa a touché là où ça fait mal…mais on n’y peut rien, « c’est cohan ça y est ». Ainsi va le pays… Arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.