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Affaire Ouattara « désireux de continuer à servir » son pays: Des Intellectuels africains interpellent l'administration américaine et la CEDEAO sur les risques d'un quatrième mandat

CAFÉ CHAUD

Affaire Ouattara « désireux de continuer à servir » son pays: Des Intellectuels africains interpellent l’administration américaine et la CEDEAO sur les risques d’un quatrième mandat

Le lundi, Donald Trump, 45e et bientôt 47e président des États-Unis, a repris les rênes du pouvoir après sa victoire aux élections organisées sous l’administration Biden. Un tel scénario démocratique – où un régime au pouvoir organise des élections, les perd et cède pacifiquement le pouvoir – illustre une tradition démocratique américaine vieille de plus de deux siècles. 

Les anciens présidents américains continuent généralement de servir leur pays à travers des fondations, des initiatives humanitaires ou en tant que conseillers informels, comme l’ont fait Jimmy Carter avec sa fondation Carter Center ou Bill Clinton avec la Clinton Foundation. Cette transition vers un rôle d’influence plutôt que de pouvoir direct semble aujourd’hui inimaginable en Côte d’Ivoire. Du moins, pas dans l’entendement du régime RHDP, où le président Alassane Ouattara, 83 ans, après trois mandats constitutionnellement controversés, envisage une quatrième candidature.

À Washington, les observateurs qui suivent de près la situation ivoirienne s’inquiètent. Beaucoup estiment que l’administration américaine ou encore la CEDEAO devraient faire entendre raison à un président qui aurait dû prendre sa retraite il y a déjà cinq ans.

Dans une tribune publiée dans le Council on Foreign Relations (CFR), l’un des think tanks les plus influents en matière de politique étrangère américaine depuis sa création en 1921, le professeur Ebenezer Obadare, éminent chercheur nigérian et spécialiste reconnu de la politique africaine, exprime sans détour ce que de nombreux intellectuels africains de la diaspora pensent de cette situation. 

Le CFR, qui compte parmi ses membres d’anciens présidents et secrétaires d’État américains, joue un rôle crucial dans la formation de la politique étrangère américaine. Cette analyse percutante a été traduite et adaptée pour le public francophone par Dr. Parfait Kouacou, professeur à l’Université Drexel en Pennsylvanie et vice-président de l’Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne (IRDI), un think tank dédié aux questions politiques, économiques et sociales de la Côte d’Ivoire. Ci-dessous, cette analyse percutante in extenso.

En 2019, alors que les spéculations allaient bon train sur une éventuelle candidature à un troisième mandat constitutionnellement contestable, le président ivoirien Alassane Ouattara se trouvait sous pression pour clarifier ses intentions. Les déclarations du président n’ont guère rassuré ses compatriotes ni les observateurs internationaux. D’un côté, M. Ouattara évoquait sa conviction « qu’un changement générationnel s’impose en Afrique », ajoutant : « 75% des Africains ont moins de 35 ans. Le président français a 40 ans ; mon fils aîné en a 52. Il est évident pour moi que la voie à suivre est celle d’un passage de témoin à une nouvelle génération. » 

Cependant, pour dissiper tout malentendu sur un éventuel retrait, le président s’empressait de préciser : « Je ne vous dis pas que je m’en vais, attention. » (Il finira par obtenir un troisième mandat controversé après le décès inattendu en juillet 2020 du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, largement pressenti comme son dauphin.) M. Ouattara, qui fêtera ses 83 ans cette année, maintient l’ambiguïté. La semaine dernière, lors d’une cérémonie officielle à Abidjan, capitale économique du pays, il a laissé entrevoir la possibilité d’un quatrième mandat présidentiel pour le moins improbable (« Je suis en bonne santé et désireux de servir mon pays »), sous réserve du soutien de son parti, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). 

Fidèle à son style, il a néanmoins temporisé en ajoutant : « À ce jour, je n’ai pas encore pris ma décision. » Connaissant M. Ouattara, cette déclaration équivaut pratiquement à une annonce de candidature, d’autant plus que les premiers signaux indiquent un soutien total des cadres du parti. En octobre dernier, les hauts responsables du RHDP l’ont déjà désigné comme leur « candidat naturel », exprimant leur « volonté de tout mettre en œuvre » pour assurer sa victoire à l’élection présidentielle d’octobre prochain.

Ne pas se laisser convaincre par les caciques du parti et divers courtisans

Bien que l’opposition aura son mot à dire (son boycott de principe de l’élection présidentielle de 2020 explique en partie le score de 94% obtenu par le président), la Côte d’Ivoire, nation ouest-africaine de 32 millions d’habitants, semble se diriger vers une énième représentation d’un scénario politique bien rodé : le président sortant feint le désintérêt pour le pouvoir mais se laisse « convaincre » par les caciques du parti et divers courtisans d’agir contre son gré, culminant dans un dénouement où le « père de la nation » accepte à contrecœur de poursuivre sa mission pour le bien du pays. 

Entre-temps, l’opposition est stigmatisée comme « ennemie de l’État », et les ressources publiques sont mobilisées contre elle et quiconque ose protester. Dire que ces tergiversations du président Ouattara sont la dernière chose dont la Côte d’Ivoire a besoin relève de l’euphémisme. D’abord, les violences qui ont entaché les précédents scrutins montrent que le pays n’a guère de marge de manœuvre et ne peut se permettre une situation potentiellement explosive où l’opposition, acculée, se sentirait contrainte de résister par tous les moyens à ce qu’elle considère légitimement comme une violation de la Constitution. 

Trois mille personnes ont inutilement perdu la vie et cinq cent mille autres ont été déplacées après le refus de l’ancien président Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite lors du scrutin présidentiel de novembre 2010. Il est regrettable que M. Ouattara, à l’époque le vainqueur incontesté que le président sortant refusait d’accepter, n’ait que peu retenu les leçons de cet épisode tragique. De plus, le président Ouattara semble soit ne pas avoir pris la mesure du sentiment qui prévaut dans la région, soit avoir rapidement oublié l’expérience du Sénégal, où la tentative de l’ancien président Macky Sall de briguer un troisième mandat inconstitutionnel s’est spectaculairement retournée contre lui. 

Aucune loi ne stipule que Ouattara ne peut le faire qu’en tant que président

Dans les deux cas, il paraît indifférent au risque de plonger son pays dans une crise politique évitable, dont les ondes de choc se propageront probablement au-delà des frontières (…) La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a un rôle à jouer. Après avoir fait preuve de fermeté face à la trinité martiale du Mali, du Niger et du Burkina Faso, elle doit maintenir le cap en condamnant clairement les projets du président Ouattara, car en substance, ce que les militaires ont accompli par les armes est identique à ce que M. Ouattara cherche à réaliser par les urnes. 

La CEDEAO s’exposerait à des accusations de deux poids, deux mesures si elle ne prenait pas position contre M. Ouattara. Washington peut également faire entendre sa voix. Il est probable que le président Ouattara calcule que, les États-Unis étant en quête de nouvelles alliances dans la région, et l’administration Trump entrante risquant d’être au mieux distraite et au pire transactionnelle, le moment est idéal pour un tel coup politique. Washington devrait clairement signifier que les États-Unis ne soutiendront pas un allié prêt à sacrifier le bien-être de son peuple et la stabilité de son pays sur l’autel de l’ambition politique.

M. Ouattara se dit « désireux de continuer à servir » son pays. Soit. Aucune loi ne stipule qu’il ne peut le faire qu’en tant que président. La voie morale et raisonnable est de quitter le pouvoir à l’expiration de son mandat actuel et de laisser le processus politique suivre son cours. La grandeur l’appelle. Le président Ouattara devrait y répondre.

Dr. Ebenezer Obadare

Douglas Dillon Senior Fellow for Africa Studies

Council on Foreign Relations (CFR)

New York University School of Professional Studies

Center for Global Affairs

Article original publié dans Foreign Affairs

Traduit de l’anglais par

Dr. Parfait Kouacou

Drexel University, Département de Global Studies              Directeur académique, Mandela Washington Fellowship

Chercheur affilié, Africana Studies Program.                     Vice-Président de l’Institut de Recherche de la Diaspora Ivoirienne (IRDI)

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